Louis-Marie Lambert (1814-1892)
Louis Lambert naît à Grasse le 24 février 1814. Son père, Jean-Paul y est boucher et habite avec son épouse, Claire Bompar, Place aux Herbes. Nul doute que le jeune Louis dut subir l’influence de ces admirables pasteurs que furent Messire Jean-Joseph Archier curé de la cathédrale voisine, qui y avait fait refleurir le culte au lendemain de la Révolution française et tiendra la paroisse jusqu’à sa mort en 1830, après y avoir créé le petit-séminaire, dont le supérieur, Honorat Chabaud, prendra le relai comme archiprêtre, de 1830 à 1840. Après le petit séminaire de Grasse où Louis remporte plusieurs années le prix d’excellence, le voilà au grand séminaire de Fréjus où il est ordonné prêtre en 1838. L’abbé Lambert est immédiatement affecté à la cathédrale comme vicaire tout en remplissant les fonctions de pro-secrétaire de Mgr Michel. En 1843, il décide d’entrer au noviciat de la Compagnie de Jésus à Avignon mais, au bout de dix-huit mois et avec l’accord de ses supérieurs, il rejoint Paris où il exercera désormais son ministère successivement à Saint-Philippe-du-Roule, aux Carmes, chez les Bénédictines du Temple dont il sera le chapelain puis comme aumônier des Dames dites de Saint-Michel. Doué d’une activité multiforme et avec le talent de dessinateur qui était le sien, il publie déjà un Catéchisme Illustré de Paris, puis un Memoriale vitae sacerdotalis. Emu du sort des sourds-muets, sa charité va bientôt l’orienter vers l’œuvre qui sera celle de sa vie. En 1854, il est nommé premier aumônier de l’Institut impérial des sourds-muets, maison de formation installée depuis 1794 au petit séminaire des Oratoriens de la rue Saint-Magloire pour poursuivre l’œuvre de l’abbé de l’Epée (1712-1789). Il restera à ce poste jusqu’en 1879 et y multipliera les initiatives. En 1856 Mgr Jordany lui octroie le titre de chanoine honoraire de Fréjus. Le chanoine Lambert, associant le dessin et la description, publie en 1865 le premier dictionnaire bilingue français/langue des signes. Ce chef-d’œuvre inégalé est en avance sur son temps : ne se contentant pas d'une mise en parallèle élémentaire des unités lexicales de chacune des deux langues comme le font la totalité des recueils actuels, il replace chaque signe dans son contexte et indique comment traduire des milliers d'expressions françaises. Il publie encore une syntaxe et, parallèlement, des ouvrages catéchétiques à l’égard des sourds-muets : La Religion et les devoirs moraux de la vie enseignés aux sourds-muets en 1859, un catéchisme et un paroissien en 1865, ou – beaucoup plus original – un jeu de société au titre évocateur : Histoire sainte en loto, composé de 24 grands cartons et 360 petits cartons qui décrivent tous les épisodes de cette histoire. En même temps, l'abbé Lambert avait fondé depuis 1855 des conférences spirituelles en langage des signes chaque dimanche dans les paroisses parisiennes de Saint-Roch et de Sainte-Marguerite. Il fonde encore une revue mensuelle à l’usage des sourds-muets : Le Conseiller des sourds-muets et accompagne la création d’institutions spécialisées pour les sourds-muets dans divers points de France. Toute cette activité aux multiples facettes représente un effort colossal qui fut le fruit d'années de travail et de grands sacrifices financiers de la part de l'abbé. Malheureusement, quinze ans après la parution de son dictionnaire, la langue des signes fut interdite dans les écoles spécialisées, et l'ouvrage mis au rebut : pendant un siècle, les sourds-muets seront réduits à l’illettrisme. Mais Louis-Marie Lambert fut l’initiateur d’une autre œuvre qui porta immédiatement de beaux fruits, à l’occasion d’une rencontre étonnante : le bienheureux Pierre Bonhomme (1803-1861), prêtre du diocèse de Cahors, fondateur des Sœurs de Notre-Dame du Calvaire se préoccupait du sort des jeunes sourdes et muettes et se décide à monter à Paris à la fin des années 1850 pour rencontrer l’abbé Lambert. Quand il arrive à sa porte, celui-ci était en prière, en train d’implorer saint Vincent-de-Paul : « Bon saint Vincent, vous avez toujours été prêt à porter secours aux pauvres, aux malheureux et aux enfants abandonnés. Vous ne vous êtes pas encore occupé des sourds. Il est temps de le faire maintenant ! Envoyez-nous quelqu’un qui puisse réaliser ce dont nous avons besoin pour notre Institut. » Le Père Bonhomme se présente alors. « – Etes-vous l’homme que je demande au Seigneur ? – Peut-être ! Parlez-moi de lui. Quelle sorte d’homme demandez-vous dans vos prières ? – Notre Institut ne peut pas répondre à tous les besoins. Des sourdes-muettes adultes ont passé la limite d’âge. Personne ne les accepte et elles pourraient bien finir par se retrouver à la rue ! Certaines voudraient bien se consacrer à Dieu, mais aucune congrégation ne leur ouvre ses portes ! – Eh bien. Je suis votre homme. Je suis venu vous proposer mes sœurs, et ouvrir notre congrégation aux sourds est pour moi une grande joie. Nous avons un foyer rue des Postes, il y a assez de place pour les pensionnaires et quelques personnes de plus pour commencer ». La première recrue sera une jeune femme sourde, de vingt-deux ans, à laquelle l’abbé Lambert a fait faire sa première communion et qui, atteinte de typhoïde, était à la rue, sur un brancard… La congrégation s’établit en 1860 à Bourg-la-Reine où l'établissement accueillera tout à la fois les petites filles dès l'âge de trois ans, les femmes sans aucun appui et celles qui veulent se consacrer à Dieu et c'est là que le chanoine Lambert s'installe à partir de mars 1872. Le bienheureux pape Pie IX lui confère le titre et les privilèges de Missionnaire apostolique. En 1879, alors qu’il doit renoncer à sa charge d’aumônier de l’institution parisienne, le cardinal Guibert le fait chanoine honoraire de Paris, il le sera encore de Nice en 1887. A côté de son ministère, il avait développé des talents artistiques et c'est lui qui dessinera les vitraux de la basilique de l'Immaculée-Conception de Lourdes, que réalisera en 1877-78 Lucien Laurent-Gsell, neveu de Louis Pasteur. Le chanoine Lambert commercialisera aussi en 1882 une lithographie illustrant la théologie de saint Thomas d'Aquin préconisée par Léon XIII, sur le modèle du Triomphe du Docteur Angélique de Benozzo Gozzoli, dont l'original sous forme de toile sera offert au séminaire Saint-Sulpice et une réduction, au pape Léon XIII en personne. C'est à Bourg-la-Reine qu’il meurt le 15 décembre 1892 entouré par la communauté des religieuses de Notre-Dame du Calvaire. Victorien Sardou, présidant en 1880 la Séance de l'Académie Française qui lui décernait le prix Souriau osera affirmer : "On peut dire que, depuis le saint abbé de l’Épée, personne n’a plus fait pour l’éducation morale des sourds-muets que M. l’abbé Lambert, qui pendant vingt-cinq ans s’est appliqué, avec une abnégation au-dessus de tout éloge, à compléter la grande œuvre de son immortel devancier". Le chanoine Lambert était chevalier de l’ordre impérial brésilien de la Rose depuis 1872.