André-Hercule de Fleury (1er novembre 1698 - résigne le 3 mai 1715)
Blason : écartelé: aux 1 et 4, d'azur, à trois roses d'or (Fleury); aux 2 et 3, coupé: a. de gueules au lion naissant d'or; b. d'azur plein (la Treille)
André Hercule de Fleury naquit à Lodève le 22 juin 1653 d’une famille du Languedoc qui n’appartenait pas à la grande aristocratie : son père y était receveur des décimes du diocèse et, à ce titre, avait compris ce que pouvait offrir l’Eglise en matière d’ « ascension sociale », comme nous dirions aujourd’hui, et en connaissait quelques leviers. Il fut baptisé le 14 juillet à l’église paroissiale Saint-Fulcran de Lodève : « le 14 juillet 1653 a été baptisé Hercules de Fluri, fils de noble Jean de Fluri, sieur de Dio, et de dame Diane de la Treille. Son parrain noble Hercules de Tessan, baron de St Geiniès, et sa marraine damoiselle Françoise de Soubès. Naquit le 22° de juin passé. Fabre, curé. ». Troisième d’une famille de douze enfants, André-Hercule (il prit ce nouveau prénom - plus catholique - après sa confirmation) fut destiné à la carrière ecclésiastique, on l’envoya à Paris en 1659 où il fit ses études aux collèges de Clermont, d’Harcourt puis de Navarre, et enfin sa théologie à la Sorbonne où il soutint sa licence le 15 février 1678 (en raison de ses charges ultérieures, il ne sera reçu docteur qu'en 1699).
Il avait été tonsuré le 2 février 1666 par l'évêque de Lodève en son hôtel parisien et avait obtenu par résignation de son oncle Joseph une stalle de chanoine de Montpellier en 1668 et une chapellenie à Lodève. En 1679, il est ordonné prêtre. Grâce à la protection du cardinal de Bonzi, ancien évêque de Béziers, il est alors nommé chapelain de la reine Marie-Thérèse et participe comme député du second ordre à l’Assemblée du clergé de 1682. Il devient aumônier du roi en 1683, et abbé de l’abbaye cistercienne de la Rivour, au diocèse de Troyes, en 1686. Lié d’amitié avec Fénelon et Bossuet, l’abbé de Fleury entretient des protections efficaces auprès de M. de Basville, intendant du Languedoc, de M. de Torcy, secrétaire d’Etat, des jésuites même, mais devra attendre encore quelques années une nomination épiscopale, encore s’agira-t-il, vu de Paris, du lointain et modeste siège de Fréjus.
Elu donc au siège de saint Léonce le 1er novembre 1698, il en reçoit les bulles le 18 mai 1699 et n’est sacré que le 22 novembre 1699 dans l’église des Feuillants, de la rue Saint-Honoré, à Paris par l’archevêque Louis-Antoine de Noailles assisté d’Henri de Feydeau, évêque d’Amiens et François de Clermont-Tonnerre, évêque de Langres. Cette lenteur est due aux protestations réitérées de l’ancien évêque Luc d’Aquin qui s’était déjà élevé contre la nomination de son propre neveu et se considérait toujours comme légitime évêque de Fréjus, mais Innocent XII ne s’y arrêta pas. Louis XIV consulta même Bossuet à propos de ce litige : après une argumentation canonique l’évêque de Meaux conclut : « Ce n’est pas tant M. de Fréjus (Mgr de Fleury) qui a droit par ses bulles d’être sacré, c’est l’Eglise de Fréjus que l’on tache de priver (...) du droit d’avoir un évêque qui lui représente Jésus-Christ. »
Celui qui par une modestie feinte ou réelle se nommait évêque de Fréjus « par indignité divine » (ou par « indignation divine », expression qu’on lui prête dans une lettre au cardinal Angelo Quirini, ce qui est moins plaisant pour Fréjus...) fit prendre possession de son siège par procureur le 20 décembre suivant et fit personnellement son entrée dans sa ville en mai 1701. A cette occasion, le nouvel évêque déclina les présents que la ville avait coutume de faire, qui doit mettre à la vente les bassins d'argent, le dais et le drapeau ainsi refusés. Faut-il croire cette mauvaise langue de Voltaire prétendant que dès qu’il avait vu sa femme, il avait été dégoûté de son mariage ? C’était un évêque au visage noble et à l’allure imposante qui venait à la rencontre de son peuple : Saint-Simon dit de lui qu’il avait été « fort beau et fort bien fait dans sa première jeunesse et en a conservé les restes toute sa vie ». Sa modestie et son charme naturel opérèrent immédiatement. Il commença à donner une retraite à ses curés et à célébrer un synode en novembre 1701.
Il honora ses fonctions pastorales avec zèle et la facilité que lui donnaient ses qualités brillantes. Il porta un soin particulier au recrutement sacerdotal, établit un petit séminaire à Fréjus qui réunit jusqu’à quatre-vingt jeunes et prit des mesures pour y accueillir des candidats déshérités. Il tint chaque année des réunions synodales et tenta à la fois de stimuler le zèle des pasteurs et de moraliser les usages avec une série de mesures qui étonnent aujourd’hui par leur sévérité. Il veilla à la tenue et à l’accessibilité des écoles, en ouvrit une à ses frais pour les jeunes filles à Fréjus, qu’il confia aux Sœurs de Nevers. Sa sollicitude s’étendit encore aux hôpitaux.
En 1702, il reçoit en son palais le roi Philippe V d’Espagne qui revenait d’Italie.
Monseigneur de Fleury se distingua à l’occasion d’un événement particulier : en 1707, dans le cadre de la guerre de succession d’Espagne, la Provence fut envahie et ravagée par l’armée du duc de Savoie ; alors que Monseigneur Bonnin de Chalucet, à Toulon, travaillait à la défense de sa ville qui résista (il est vrai qu’avec sa flotte, elle était l’objectif majeur de l’expédition), « Monsieur de Fréjus » accueillit et logea dans son palais le prince Victor-Amédée dont les troupes occupèrent la ville, et fit même donner un Te Deum à la cathédrale ! Ses bonnes manières préservèrent la ville du pire, même si Girardin prétend à tort qu’elle n’eut à souffrir d’aucune violence. On imagine qu’on ait eu besoin d’explications à Versailles mais rien ne permet d’affirmer que Mgr de Fleury ait été obligé de se démettre ou menacé alors par la colère du roi comme on le prétendit. L’aventure est ainsi reprise par le jésuite Charles Frey de Neuville dans son oraison funèbre : « une noble liberté lui concilie son (du duc de Savoie) estime : il refuse de se dire Sujet, & il n’est point traité en ennemi ; il désarme la Victoire, sans se soumettre au Vainqueur : par une conduite de ménagemens que Versailles approuve, par une conduite de fermeté à laquelle Turin applaudit, il signale son zèle pour son Roi, & sauve son Peuple des fureurs de la guerre ».
L’évêque se rend d’ailleurs à Paris l’année suivante, comme il l’avait fait en 1706 et le fera aussi en 1711.
Fidèle à protéger et à soutenir son peuple, il se montra encore attentif aux victimes du terrible hiver de 1709, durant lequel même les oliviers furent détruits.
Il fut un des évêques français qui accepta immédiatement et sans réserves la bulle Unigenitus de Clément XI et la publia : tant à Fréjus qu’au cours de son service auprès du roi, il se montra un infatigable opposant au jansénisme, et toujours avisé, sans être arrivé à s’affranchir d’un gallicanisme qui sent son époque. Ainsi dans sa lettre d’adieu aux Fréjusiens, le prélat conjugue une soumission au pape que contredisent sans cesse les expressions qui en limitent la puissance : « Ne craignons donc point de nous égarer en suivant le guide assuré que Jésus-Christ nous a laissé pour nous conduire. C’est son Eglise, mes chers Frères, et elle n’est autre que son Chef visible marchant à la tête du Corps des Pasteurs, c’est aux Fidèles à lui obéir avec une parfaite soumission. », mais quand il parle de l’Eglise, Fleury donne la priorité à ce qu’il appelle le « Corps des Pasteurs, soutenus de leur Chef » dont l’autorité reste toujours relative à l’accueil de l’épiscopat : « ne serait-il pas plus court de nous en tenir à ce que l’Eglise a décidé, soit dans ses conciles généraux, soit dans ses particuliers, ou dans les Constitutions des Souverains Pontifes, reçues par le Corps des Pasteurs ».
C’est lui qui aménagea la nouvelle porte du baptistère et la fit fermer par l’élégante grille de fer forgé qu’on voit encore aujourd’hui. A Lorgues, pour remplacer la petite église paroissiale, il posa la première pierre de la collégiale Saint-Martin le 15 avril 1704 à laquelle on donna des allures de cathédrale.
Après quinze ans de pontificat, et avoir essuyé plusieurs refus du roi, il obtint de renoncer à sa charge. Il était instruit depuis longtemps de la volonté qu’exprimera Louis XIV le 23 août dans son deuxième codicille, de lui confier l’éducation du futur roi, voilà pourquoi il négocia la nomination de son successeur qui aboutit en janvier 1715, avant d’annoncer son départ à ses ouailles le 30 avril suivant par la lettre pastorale déjà citée, où il assure qu’il ne les quitte pour aucun mécontentement, n’ayant qu’à se louer de leur amitié et de leur docilité, regrettant ses négligences à leur égard mais pour l’imputer aussitôt à sa « santé presque toujours altérée par le travail » (à quoi un commentateur de l’époque, ironique, ajoute en marge : « Il s’est bien porté à la Cour »...) ; attestant que « le diocèse est exempt du venin de toute hérésie », il y développe une longue exhortation pour mettre en garde contre les pièges du jansénisme et d’ultimes recommandations aux prêtres et aux fidèles, il insiste sur le besoin de prier pour « la conservation du précieux rejetton (sic) qui nous reste d’une tige autrefois si féconde et si florissante (...). Qu’il croisse ce précieux rejetton comme un autre Samuel en la présence du Seigneur, et sous les yeux de son Auguste Bisayeul ».
Sa résignation sera entérinée en cour de Rome le 3 mai 1715, pour permettre à la fin du mois la préconisation de son successeur. Le 17 juillet, finalement, sa voiture quittera la cité, escortée sur une demi-lieue par le peuple de la ville pleurant son départ et lui souhaitant mille bénédictions.
Louis XIV, se souvenant de cet évêque modeste et bien élevé qui n’était lié à nulle coterie, avait nommé précepteur de son arrière petit-fils celui qui n’eût longtemps d’autre titre que celui d’ancien évêque de Fréjus (outre ses abbayes de Tournus (1715) et de Saint-Etienne (1721) de Caen).
Confirmé le 1er avril 1716 par le duc d’Orléans, régent du royaume, dans sa charge de précepteur de Louis XV, il consolida sa position à la cour avec beaucoup de discrétion et d’habileté. Il sut gagner le cœur de son élève et, à partir de juin 1726, fit office de premier ministre bien qu’il refusât toujours d’en porter le titre. Simple « ministre d’Etat », il resta jusqu’à sa mort à la tête des affaires. Evoquant le « gouvernement économe et timide » de celui qu’il appelle « le vieux prêtre », Jules Michelet souligne alors comment l’ex-précepteur du jeune roi « s’empara du roi et du royaume ». L’austérité parcimonieuse qui régla toujours sa conduite ne l’empêcha pas de manifester à plusieurs reprises son intérêt pour Fréjus qui bénéficiera de sa bienveillance et de sa générosité chaque fois que nécessaire.
Il rétablit le budget de l’État et stabilisa la monnaie, ce qui ouvrit pour le royaume une période de réelle prospérité. Il reprit la politique de Colbert et pacifia dans la mesure du possible le problème janséniste. En revanche, il ne parvint pas à entraver la montée de l’opposition parlementaire. Sa politique extérieure fut marquée par une recherche de la paix et de la stabilité européenne. Entraîné par le roi dans la guerre de Succession de Pologne, il la conclut rapidement par le traité de Vienne de 1738 qui apporta à terme la Lorraine et le Barrois à la France. L'ancien Président de la République, Valéry Giscard d'Estaing, dans un entretien au journal Le Point publié le 13 mai 2014, porte un jugement sans appel sur "ce formidable moment entre 1725 et 1745 où le gouvernement de la France fut dirigé par le cardinal Fleury, le meilleur Premier ministre que le pays ait eu, un homme provincial rigoureux, qui a redressé les comptes du pays sans s'enrichir lui-même."
Le 22 avril 1717, l'ancien évêque de Fréjus avait été élu à l’Académie française. En 1721, il avait refusé l’archevêché de Reims qui l'aurait éloigné des affaires. Benoît XIII le créa cardinal à la demande de son royal élève le 11 septembre 1726, mais Fleury ne se rendit jamais à Rome et, malgré son hostilité constante au jansénisme, se montra assez peu romain. Il présida les assemblées du clergé de 1726, 1730 et 1734. Il fut nommé Proviseur de Sorbonne et du collège de Navarre en mai 1729. « Le cardinal de Fleury fut simple et économe en tout, sans jamais se démentir. L’élévation manquait à son caractère ; ce défaut tenait à des vertus qui sont la douceur, l’égalité, l’amour de l’ordre et de la paix », reconnut Voltaire. Sur le plan politique, son manque de « charisme », son impérieuse rigueur et sa longévité propre à décourager les impatients ne le rendirent jamais populaire. Toutefois, le roi lui fut toujours comme filialement attaché, ainsi que le peuple de Fréjus : en 1737, le conseil de la ville de Fréjus décida qu’une grand-messe serait chantée chaque année, après l’octave de l’Epiphanie, pour la conservation de leur ancien évêque, « le plus grand homme de son siècle, l’ornement et la gloire de cette Eglise, et le restaurateur de la ville » ; elle sera convertie en service anniversaire à sa mort plusieurs années après. En effet, celui que l’on appelait « Son Eternité », s’éteint finalement à Issy où il vivait ordinairement dans une simplicité toute sulpicienne, le 29 janvier 1743. Il fut d’abord inhumé dans l’église paroissiale d’Issy, avant que son corps ne soit transporté - ironie du sort - aux côtés de son turbulent prédécesseur Luc d’Aquin, dans l’église de Saint-Thomas-du-Louvre, reconstruite en 1744 et alors placée sous le vocable de saint Louis (détruite en 1811).
On lit dans le récit de son voyage à Paris la visite qu’en fit en mars 1748 le chanoine fréjusien Jean-Toussaint Cavalier : « Le 13 je fus à Saint Thomas, à présent Saint-Louis-du-Louvre. L’église est jolie et très riante mais petite. Le chœur est à la romaine. J’y demandai à voir la sépulture de Mgr le Cardinal de Fleury, on m’y mena. Il est au milieu de la nef sans autre marque de distinction qu’une pierre commune sans épitaphe ni mausolée. Le prêtre me fit voir à côté une chapelle sans autel où l’on devait placer le mausolée qu’on lui destinait mais qui n’a pas été fait. »
Pour répondre à la volonté du roi de lui élever un tombeau, on avait sollicité quatre sculpteurs qui présentèrent leur projet au salon du Louvre de 1743 : Nicolas-Sébastien Adam qui fut préféré par le public, Edmé Bouchardon, François Ladatte et Jean-Baptiste Lemoyne qui, finalement, le réalisera en 1768 et sera payé par la famille du cardinal... Il sera démoli dès le mois d'août 1792, à la chute de la monarchie.
Son épitaphe :
HIC JACET ANDREAS HERCULES DE FLEURY S.R.E. CARDINALIS
ANTIQUUS FOROJULIENSIS EPISCOPUS LUDOVICI XV
PRAECEPTOR MAGNUS REGINAE ELEEMOSINARIUS REGNI
ADMINISTER. SORBONNAE PROVISOR. REGIAE NAVARRE
SUPERIOR. UNUS EX XL. ACADEMIAE GALLICAE VIRIS
NATUS DIE XXII. M. JUNIJ MDCLIII.
OBIJT DIE XXIX. M. JANUAR MDCCXLIII.
DE PATRIA BENEMERITO REX MEMOR. PON. JUSSIT.
Parmi les épitaphes, on peut encore citer celle, mordante, de son ancien protégé, l’abbé et futur cardinal François Joachim de Bernis, qui ne lui avait pas pardonné d’avoir été ensuite écarté par lui des dignités ecclésiastiques au vu de ses médiocres dispositions spirituelles et qui, avec plus d’une année d’avance suite à une mauvaise plaisanterie, improvisa ces mots : « Ci-gît qui loin du faste et de l’éclat / se bornant au pouvoir suprême / n’ayant vécu que pour lui-même / mourut pour le bien de l’Etat. »
Mais comment ne pas lui préférer celle qu’avait envisagée Adam pour son monument :
HOC MONUMENTUM
REX AMICO
POPULUS PATRI
VIRTUS SIBI POSUERE
(Le roi a fait ériger ce monument à son ami, le peuple à son père et la vertu à elle-même) ?
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Bibliographie :
Maxime de Sars, Le Cardinal de Fleury, apôtre de la paix, Paris, Hachette, 1942. In-12 de 252 pages.
chanoine Victor Verlaque, Histoire du cardinal de Fleury et de son administration, 1878.